Lorsqu’on évoque la préservation de l’environnement, on pense souvent aux énergies renouvelables ou à la protection de la biodiversité. Mais un autre levier gagne du terrain au Maroc : l’économie circulaire, un modèle qui valorise la réutilisation, la réparation et la revente des objets pour réduire le gaspillage. Dans un pays où la consommation évolue rapidement, cette tendance pourrait bien transformer durablement nos habitudes et soutenir tout un écosystème d’acteurs locaux.
Un concept qui séduit de plus en plus
Il y a encore quelques années, acheter un téléphone portable ou un canapé d’occasion était perçu, par certains, comme un pis-aller. Aujourd’hui, de nombreux Marocains y voient au contraire une démarche maligne et responsable. Sur les groupes Facebook, dans les vide-greniers ou via les sites d’annonces, les biens changent de mains à toute vitesse : du vélo enfant trop petit au smartphone reconditionné, en passant par des pièces de mobilier vintage.
Ce phénomène s’inscrit dans une vision plus globale, celle de l’économie circulaire, dont l’objectif est de prolonger la durée de vie des objets au maximum. « Jeter le moins possible, donner une seconde vie aux produits, partager ou échanger, c’est un état d’esprit qui commence à s’implanter », affirme Imad, gérant d’une recyclerie à Casablanca. L’idée est simple : faire circuler les ressources déjà présentes pour éviter l’extraction constante de nouvelles matières premières et la multiplication des déchets.
Les plateformes d’annonces, moteurs de la revente
Un des piliers de cette dynamique repose sur les sites d’annonces généralistes, tels que «Qui Cherche Quoi». En mettant en relation directe vendeurs et acheteurs, ils permettent de fluidifier le marché de l’occasion. Les particuliers peuvent poster en quelques minutes des objets qu’ils n’utilisent plus – vêtements, électroménager, mobilier, etc. – et les rendre accessibles à des prix souvent très attractifs.
Pour de nombreuses familles, c’est un moyen d’arrondir les fins de mois tout en vidant leurs placards. Pour d’autres, c’est l’opportunité de dénicher des produits parfois rares ou non distribués dans le commerce traditionnel. « J’ai acheté un bureau pour mes études, quasiment neuf, pour la moitié du prix d’un neuf en magasin », raconte Hajar, étudiante à Fès. « Ça fait du bien au porte-monnaie et à la planète ! »
La réparation, un savoir-faire à préserver
Si la revente joue un rôle crucial, la réparation l’est tout autant. Dans de nombreux quartiers, on trouve encore des cordonniers, des électriciens, des menuisiers ou des mécaniciens capables de remettre en état des objets ou appareils abîmés. Malheureusement, certains de ces artisans peinent à maintenir leur activité face à la concurrence d’objets neufs bon marché, souvent importés.
C’est là qu’interviennent les initiatives citoyennes et associatives, qui promeuvent l’upcycling (réemploi créatif) et la réparation. À Rabat, un atelier participatif organise des sessions où chacun peut venir réparer son vélo sous l’œil attentif de bénévoles expérimentés. Au nord du pays, dans la région de Tanger-Tétouan, des associations forment des jeunes au métier de réparateur d’électroménager, leur ouvrant ainsi des perspectives professionnelles nouvelles.
Selon Rachida, qui dirige un programme local de développement, « la réparation n’est pas seulement un geste écolo, c’est aussi un moyen de valoriser un savoir-faire et de créer de l’emploi au niveau local. Chaque fois qu’on choisit de faire réparer un objet plutôt que de le jeter, on soutient un pan de l’économie qui peine à trouver sa place face au neuf low-cost. »
Vers un modèle zéro déchet ?
La montée en puissance de l’économie circulaire s’accompagne d’un intérêt grandissant pour le zéro déchet. Même si l’objectif d’une société sans gaspillage semble encore lointain, les Marocains sont de plus en plus nombreux à adopter des gestes simples : acheter en vrac, emporter un sac réutilisable au souk ou détourner des emballages pour le rangement.
Dans les grandes villes, on voit naître des « boutiques zéro déchet » qui proposent des alternatives écologiques (shampoings solides, produits ménagers à la découpe, etc.). Certes, ces initiatives restent marginales par rapport au marché global, mais elles révèlent un changement de mentalité : consommer autrement, plus lentement, plus intelligemment.
Les freins et défis à relever
Malgré ces tendances encourageantes, l’économie circulaire au Maroc fait face à plusieurs obstacles :
- Le manque d’infrastructures de tri et de recyclage : l’élimination des déchets ne s’effectue pas toujours de manière sélective, et le taux de recyclage demeure faible.
- Le prix du neuf : paradoxalement, dans certains cas, acheter un produit low-cost flambant neuf coûte moins cher que de le faire réparer.
- La sensibilisation inégale : certaines régions sont beaucoup plus engagées que d’autres, et la sensibilisation reste inégale selon les milieux.
Par ailleurs, des politiques publiques plus incitatives (subventions pour la réparation, labellisation des artisans, campagnes de communication massives) pourraient accélérer la transition. Pour l’instant, beaucoup dépend de la bonne volonté des particuliers et de l’engagement d’acteurs privés ou associatifs.
Le rôle des entreprises et start-up locales
L’économie circulaire ne concerne pas que les particuliers. De plus en plus de start-up marocaines se positionnent sur ce créneau, proposant, par exemple, des plateformes de reconditionnement de smartphones, des services de location d’objets entre particuliers, ou encore des applications de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Ces jeunes pousses collaborent parfois avec des collectivités pour organiser la récupération de déchets valorisables (papier, carton, plastique) et leur revente à des filières spécialisées. C’est un moyen de créer de la richesse locale en favorisant un bouclage de la chaîne de production et de consommation.
Pour les entreprises plus établies, l’adoption de pratiques éco-responsables devient un argument de poids dans la communication : valorisation des retours clients, packaging réutilisable, partenariat avec des associations de recyclage… L’enjeu est de se différencier en affichant un impact positif sur le territoire.
Conclusion
Qu’il s’agisse de redonner une seconde vie à un canapé, de faire réparer un ordinateur portable ou de privilégier des emballages durables, l’économie circulaire s’impose progressivement au Maroc comme une alternative crédible à la surconsommation. Les mentalités évoluent, portées par une jeunesse connectée et consciente des enjeux environnementaux, mais aussi par un tissu associatif et entrepreneurial dynamique.
Si la route reste longue avant d’atteindre une véritable culture du « tout réutilisable », chaque geste compte pour réduire la pression sur les ressources naturelles et les décharges saturées. Acheter et vendre sur des sites d’annonces, se tourner vers des artisans ou des recycleries, participer à des initiatives de tri… Autant de manières de contribuer, à son échelle, à un modèle plus vertueux.
Le Maroc dispose d’atouts réels : une tradition de réparation et d’artisanat, une population en pleine mutation, et une envie grandissante de prendre part à la préservation de la planète. Reste à généraliser ces bonnes pratiques pour que l’économie circulaire ne soit pas seulement une tendance, mais devienne un véritable reflexe pour tous.